Ce régime « définitif » est remplacé par une allocation temporaire pour inaptitude physique. L’objectif est de favoriser le retour au travail des agents de moins de 50 ans en maladie. Soit environ mille personnes par an.

C’est une fosse à oubli. » Cet endroit, c’est celui où tombaient, jusqu’à présent, les agents de la fonction publique qui, en raison d’un sérieux problème de santé (cancer, maladie chronique, etc.), se retrouvaient pensionnés pour inaptitude physique. Un régime sans retour en arrière possible pour des personnes contraintes de se débrouiller avec une faible retraite (reflet du petit nombre d’années de travail) sous peine de perdre leur droit à ce revenu de remplacement qu’ils ne pouvaient pas « compléter » au-delà de 1.215 euros brut par an. Un système que le gouvernement fédéral s’apprête à remplacer par une allocation temporaire pour inaptitude physique. Le point est à l’ordre du jour du conseil des ministres restreint de ce vendredi.

On le sait, le retour au travail des malades de longue durée est devenu un enjeu crucial dans la perspective d’atteindre un taux d’emploi de 80 % en 2030. Mettre tous les demandeurs d’emploi ne suffira pas et, au cours de cette législature, un parcours de retour au travail a été mis en place par le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit). Cela valait pour les salariés du privé. Avec ses collègues Petra De Sutter (Fonction publique) et Karine Lalieux (Pensions), il vient d’imaginer la même chose pour les agents de la fonction publique.

« Aujourd’hui, lorsqu’un fonctionnaire est mis en pension pour inaptitude physique, c’est définitif », rappelle Karine Lalieux (PS). « Il ne pourra plus retravailler, même partiellement, sans perdre ses droits et sans même bénéficier d’une allocation de chômage s’il y renonce. C’est une catastrophe pour la personne, la société et il n’y a aucune responsabilité de l’employeur. » Une situation dans laquelle se trouvent actuellement 87.000 personnes, rejointes chaque année par une cohorte de 2 à 3.000 personnes, dont un millier de fonctionnaires de moins de 50 ans. C’est à eux, principalement, que s’adresse cette réforme.

A partir du 1er janvier 2025 (pour peu que cette réforme puisse être approuvée au parlement avant l’ultime séance du 8 mai prochain), un agent confronté à une inaptitude physique recevra une allocation temporaire et plus une pension. Celle-ci restera le fruit de ses années de cotisation et sera complétée par une aide afin d’atteindre le montant de la pension minimum. « Ce sera désormais un droit individuel et plus soumis à la condition des revenus du conjoint », précise la ministre des Pensions.

L’agent et son employeur responsabilisés

Dès sa mise en maladie, la personne bénéficiera d’un suivi du Medex (où siègent les médecins-conseils) et sera accompagnée par un coordinateur de retour au travail (un budget de cinq millions par an est prévu pour les recruter). Sur la base d’un questionnaire préalable rempli par le travailleur, ce dernier évaluera la possibilité d’un retour au travail, dans la fonction initiale ou dans une autre. L’employeur (ici, une administration) sera responsabilisé car le lien statutaire avec le fonctionnaire subsistera tant qu’une solution à son dossier n’aura pas été trouvée ; il devra pouvoir démontrer qu’il a tout mis en œuvre pour permettre le retour de l’appointé et, dans le cas contraire, continuera à assumer le traitement de l’employé.

Le fonctionnaire, lui, pourra refuser si le poste proposé ne répond pas aux critères d’un emploi « convenable » ou si ce changement affecte sa rémunération. « Par contre, s’il ne coopère pas, son allocation pourra être suspendue », concède Karine Lalieux. Fameuse épée de Damoclès, tout de même. En cas d’impossibilité de retour, il conservera ses droits au chômage. Durant sa convalescence, l’agent pourra suivre une formation en vue d’une éventuelle reconversion, de même qu’il pourra travailler à temps partiel pour un revenu plafonné à 9.636 euros brut par an pour un isolé et 13.850 euros brut par an pour un ménage.

Karine Lalieux se félicite de cette réforme bâtie en concertation avec ses deux collègues, mais aussi avec les différents niveaux de pouvoir et avec les syndicats. Les entités fédérées devront néanmoins encore se prononcer au sein des comités A et B, notamment. Restera alors le passage au Conseil d’Etat, puis le vote au Parlement. Un timing serré pour une réforme « que les gouvernements précédents ont voulu mener sans y arriver ».

On n’est pas des pigeons! » du 20 novembre 2023, abordant la problématique du statut de cohabitant·e.

Tous les partenaires de la Vivaldi, à l’exception d’Ecolo, indiquent qu’ils ne voteront pas la proposition socialiste de supprimer le statut de cohabitant.

Dans son « combat » visant à supprimer le statut de cohabitant, le PS peut compter sur une coupole d’associations qui tentent depuis des années d’alerter le politique sur les inégalités (surtout de genre) que génère la situation actuelle. La Cour constitutionnelle a également été saisie à ce sujet.

Il y a pourtant très peu de chance pour que le projet de loi déposé ce jeudi passe la rampe du débat en commission. Pour le MR, Florence Reuter rappelle que ce statut a été créé pour financer la sécurité sociale dans les années septante car la situation économique n’était pas idéale à l’époque. « Or, la situation a plutôt empiré depuis ! Si nous ne sommes pas opposés au principe d’“un individu, des droits”, on ne peut pas uniquement agir aux bénéfices des allocataires sociaux. On parle tout de même de presque deux milliards et on ne mentionne pas l’indexation des salaires. »

La libérale estime qu’il s’agit d’une proposition « purement électoraliste » du PS. « Si on parle allocation, on ne doit pas uniquement parler de “rehausser”. Il faut aussi discuter de la limitation dans le temps du chômage par exemple. Nous avons besoin d’une refonte complète de la sécu. »

Le PS ne trouvera pas plus de soutien au CD&V, autre partenaire de la majorité qui estime lui aussi que le coût est trop élevé, qu’il vaut mieux axer les moyens disponibles « sur les personnes les plus démunies ».

Plus surprenant : la logique des socialistes francophones n’est pas celle des socialistes néerlandophones de Vooruit. Le parti de Conner Rousseau rappelle qu’il existe déjà un système permettant d’augmenter le revenu d’intégration d’une personne pour couvrir les dépenses essentielles : « Le risque, en supprimant le statut de cohabitant, est de donner plus que nécessaire à certaines personnes qui ont moins de frais fixes qu’une personne isolée. »

Patricia vit avec 800 euros d’allocation de chômage par mois parce qu’elle héberge son fils qui travaille. Une injustice aux yeux du PS qui dépose ce jeudi une proposition de loi visant à supprimer le statut de cohabitant qui concerne plus de 500.000 Belges. La démarche à toutefois peu de chance d’aboutir avant les élections.

Début de semaine compliqué pour Patricia à Blaton près de la frontière française. La quinquagénaire au chômage depuis mai dernier, et en arrêt de travail depuis près de deux ans, est revenue bredouille du CPAS. « J’ai voulu demander une prime énergie pour m’aider à payer ma facture de 579 euros de mazout. On me la refuse car je dépasse les plafonds alors que je touche 800 euros par mois. Ils m’ont demandé une composition de revenus qui indique que mon fils gagne 2.000 euros, mais ce n’est pas mon argent ! »

Comme plusieurs centaines de milliers de Belges (540.000 précisément), Patricia est impactée par le régime du statut de cohabitant. Il implique que les droits sociaux ne sont pas liés à chaque personne mais à la composition des revenus du ménage dans lequel il ou elle réside.

Aux yeux de l’Etat, Patricia vit donc théoriquement avec 2.800 euros (son allocation, additionnée au salaire de militaire de son fils), mais ce n’est pas sa manière de voir les choses : « Je ne vais quand même pas demander à mon enfant de payer un loyer ou de quitter la maison juste pour que je puisse toucher une allocation plus importante », se lamente celle qui était aide logistique en milieu hospitalier jusqu’à un burn-out. « Ce qui compte pour moi, c’est qu’il puisse économiser pour s’acheter une maison. Je suis gênée de devoir demander de l’argent à mes enfants mais pour payer la facture de mazout, je n’ai pas eu le choix. Je pourrais faire comme les autres et frauder, sauf que ce n’est pas dans ma mentalité ! »

Un coût « plus qu’acceptable »

Patricia estime être victime d’une « injustice » organisée par l’Etat. Une injustice à laquelle entend répondre le PS via une proposition de loi déposée ce jeudi à la Chambre. « C’est l’aboutissement d’un long combat qui s’est heurté à de nombreux blocages de la droite », détaille Ahmed Laaouej, chef de groupe des socialistes. « Ils disaient que supprimer le statut de cohabitant n’était pas finançable ou carrément impayable. Or, la Cour des comptes a estimé le coût à 1,9 milliard d’euros. Ce n’est rien en comparaison des 120 milliards du budget de la sécurité sociale ou des réductions de cotisations sociales de plusieurs milliards d’euros accordées sans compensation par le gouvernement précédent. Par ailleurs, nous proposons plusieurs pistes pour compenser cette dépense, comme la taxe sur les grands patrimoines. »

Dans la logique des socialistes : puisque l’argument du « coût » tombe, plus rien ne s’oppose à ramener « une égalité de traitement entre les assurés sociaux ». Tout le monde serait logé à la même enseigne et Patricia verrait son allocation remonter à environ 1.200 euros par mois. « Il n’est pas acceptable en 2023 d’être pénalisé financièrement parce qu’on vit avec quelqu’un », poursuit Ahmed Laaouej. « Par ailleurs, ce sont surtout les femmes qui sont victimes de ce système inégalitaire. En supprimant le statut de cohabitant, on rétablit une égalité entre hommes et femmes. On assure aussi une meilleure protection de la vie privée car il n’y aura plus besoin de contrôler la manière dont vous vivez. On peut même y voir un facteur de stabilisation économique : avec un pouvoir d’achat plus important, les gens consomment et soutiennent la demande intérieure. »

Promesse de campagne (bis ?)

Ce « combat » des socialistes était une promesse de campagne non concrétisée jusqu’ici. Elle ne fait pas partie de l’accord de gouvernement de la Vivaldi et les partenaires sont tous opposés à la mesure (lire par ailleurs), à l’exception d’Ecolo qui considère effectivement qu’il y a un « momentum » à saisir mais n’a pas déposé de texte à ce stade. Le point devrait revenir dans le programme des verts pour les élections de 2024.

Il y a donc peu d’espoir pour Patricia et les autres de voir leur allocation remonter sous cette législature. « Mon expérience parlementaire m’amène à dire qu’on ne peut jamais rien prévoir de ce qu’il peut se passer d’ici les élections », nuance Amhed Laaouej, qui n’envisage toutefois pas de majorité alternative avec le PTB ou d’autres partis d’opposition pour voter le texte. « Le PS se veut un facteur de stabilité au sein du gouvernement. Cela n’empêche pas de mener le débat. Il faut que les masques tombent. Comment peut-on dire que l’on se bat contre les inégalités et maintenir cette machine à précarité qu’est le statut de cohabitant ? Il faut être cohérent. »

Ce mercredi, la cour constitutionnelle a abordé la question du statut de cohabitant. Pour tenter de définir ce statut, 10 associations ont fait une intervention, notamment la ligue des droits humains.

Pour commencer, ce statut sert à estimer le montant des prestations sociales tout comme les allocations de chômage. Les cohabitants ont droit à des aides, mais de manière moins importante que pour des personnes isolées ou ayant des personnes à charge. Au niveau de la définition, il faut vivre sous le même toit et se partager les éléments ménagés. Mais en fonction des situations, ce statut peut faire débat.

Cela fait des années que les associations demandent une individualisation des droits. Si un jour, cette demande, où tous les cohabitants deviennent des personnes isolées, est acceptée, cela couterait environ 1,9 milliard d’euros à l’État.

Le débat sur le statut de cohabitant revient sur la table. Le statut pénalise les citoyens qui perçoivent des allocations de remplacement lorsqu’ils cohabitent avec d’autres personnes. Ce mercredi 18 octobre, la Cour constitutionnelle doit se prononcer sur ce statut en matière de chômage.

Le statut de cohabitant en Belgique concerne 584.000 personnes(chômage, GRAPA, revenu d’intégration sociale, invalidité, personnes handicapées) dont 155.500 chômeurs. Ce statut est considéré comme discriminatoire par une vingtaine d’organisations réunies au sein de la plateforme « Stop au statut de cohabitant.e ».  

Ces associations d’horizons différents* se mobilisent à la veille d’un nouveau débat sur ce statut décrié. Ce mercredi 18 octobre, la Cour constitutionnelle doit se prononcer sur ce statut en matière de chômage au regard de la Constitution et du droit européen de l’égalité entre hommes et femmes.

« L’enjeu est de reconnaître que ce statut – injuste et précarisant les personnes qui perçoivent des allocations – est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution qui consacrent la non-discrimination des citoyens belges et ainsi qu’au droit de l’égalité de traitement entre hommes et femmes prescrit par le droit européen notamment », plaident les dix associations.

“Un statut injuste et précarisant les personnes qui perçoivent des allocations »

Le problème du statut de cohabitant est lié au fait que la situation de la personne est prise en compte pour fixer les allocations de remplacement auxquelles elle a droit: CPAS, chômage, handicap. Ces personnes voient aujourd’hui leurs allocations diminuer, car elles cohabitent sous le même toit que d’autres personnes qui travaillent.

En fin de dégressivité de ses allocations (troisième période), un bénéficiaire d’allocations de chômage perçoit 1.296,36 euros en tant qu’isolé et 672,88 euros s’il cohabite. Le revenu d’intégration sociale dépend également de la situation familiale et de la cohabitation. Ainsi, une personne cohabitante avec charge de famille reçoit 1.673 euros, une personne isolée 1.238 euros et 825 euros en tant que cohabitante. Aujourd’hui, la majorité des personnes au chômage sont des femmes (51,4 % de femmes contre 39,9 % d’hommes). En 3ème période de chômage, on compte 38, 54% de femmes et 24,11 % d’hommes, selon les données de l’ONEM.

« Pourtant, ces personnes, lorsqu’elles avaient un emploi, contribuaient à la sécurité sociale selon un taux de cotisation identique », avance le collectif d’associations. Il dénonce également le fait que les personnes sous ce statut sont « contrôlées, traquées, soupçonnées par l’ONEM de maquiller leur cohabitation afin de recevoir les mêmes allocations que les personnes catégorisées isolées ».

« Un modèle familialiste dépassé »

Ce statut créé il y a 40 ans et fondé sur un modèle familialiste, est de plus en plus en décalage avec l’évolution de la société. « Aujourd’hui, la colocation, qui amène plusieurs personnes sans lien particulier à vivre sous le même toit, le logement intergénérationnel ou même l’habitat groupé sont souvent une solution aux problèmes d’accès au logement et d’augmentation du coût de l’énergie. De nombreuses personnes, qui pour prendre soin d’un parent, d’un enfant devenu adulte, mais porteur de handicap voudraient vivre ensemble, notamment pour faire des économies d’échelle, mais en sont empêchées en raison du risque de pénalisation lié à ce statut de cohabitant. Or, les crises successives, sanitaire, économique et sociale, ont démontré les besoins accrus de solidarité », argumentent par voie de communiqué les porte-parole des associations qui militent contre ce statut depuis des années.

La plupart des partis favorables à la suppression du statut de cohabitant

La plupart des partis – à l’exception de la NVA et du CD&V – sont favorables à la suppression de ce statut. Le PS a déposé en septembre dernier une proposition de loi afin d’y mettre un terme.

La Cour des comptes a chiffré le coût de l’alignement des allocations pour cohabitants sur les allocations pour personnes isolées à 1,86 milliard d’euros pour l’ensemble des prestations sociales, dont 446.000 euros pour la branche chômage. Un coût considéré comme “tout à supportable” par les socialistes.

Le terrain semble donc de plus en plus propice à un changement dans la législation et les mentalités. Pour preuves: récemment, les autorités ont à plusieurs reprises levé la distinction entre isolé et cohabitant pour l’octroi d’allocations, notamment lors de la crise sanitaire pour éviter de pénaliser les travailleurs en chômage temporaire. Ce fut aussi le cas pour les victimes des inondations de l’été 2021 tout comme pour les hébergeurs de réfugiés ukrainiens.

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C’est une bizarrerie administrative qui existe en Belgique (et sans doute ailleurs mais pas forcément chez nos voisins) : le statut de cohabitant. Il concerne celui qui vit avec une autre personne mais qui, étant en partie à charge de celle-ci (parce que ses revenus sont supérieurs), perçoit une allocation moins élevée que celle d’autres personnes dans le même état (chômeur, pensionné, minimexé, etc.) mais avec une situation familiale différente. En Belgique, cela concerne 584.000 personnes. Une source de discrimination sur laquelle la Cour constitutionnelle s’est penchée récemment, à la mi-octobre.

A la demande de dix associations, dont la Ligue des Droits humains (LDH), elle doit se pencher sur une question préjudicielle de la Cour du travail de Liège sur la différence entre chômeur cohabitant et isolé ou chef de ménage. « Il s’agit de décider si ce statut est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution sur la non-discrimination des citoyens belges et sur l’égalité entre homme et femme », explique Sébastien Gratoir, président de la Commission Droits économiques, sociaux et culturels de la LDH.

C’est que la différence est flagrante. Prenez un chômeur arrivant en 3e période de chômage (le moment où la dégressivité joue à plein régime) : il percevra une allocation différente s’il est isolé (1.296,36 euros) ou cohabitant (672,88 euros), alors que dans les deux cas, il aura cotisé de manière identique quand il disposait d’un emploi. Or cette différence est genrée : 51,4 % des chômeuses sont cohabitantes, pour 39,9 % des chômeurs. Soit un total de 155.500 demandeurs d’emploi. Et cet écart s’accroît avec le temps puisque dans la 3epériode de chômage, ce statut concerne 38,54 % des femmes en demande d’emploi indemnisée, pour 24,11 % des hommes. « Cela correspond à une vision ancienne, dépassée, du ménage, de la famille, déplore Sébastien Gratoir. Cela ne tient pas compte des nouvelles formes de cohabitation. Avec ce statut, on punit la solidarité des gens qui décident de vivre ensemble pour faire face à la hausse du coût de l’existence. »

A tel point que les partis de gauche avaient inscrit sa suppression à leur programme électoral en 2019. Et aujourd’hui, à l’exception de la N-VA et du CD&V, tous les autres partis se montrent ouverts à la fin du statut de cohabitant (sans préciser à quel niveau ils situeraient le montant de l’allocation individuelle). Et pourtant, rien ne bouge ou presque. Outre la peur à gauche d’un nivellement par le bas de l’allocation de chômage, c’est le coût qui explique sans doute le statu quo actuel. Mettre fin à cette distinction discriminatoire entre les pensionnés, les minimexés, les chômeurs… coûterait 1,86 milliard d’euros, selon le dernier calcul effectué par la Cour des comptes. Et la seule suppression du statut dans le régime du chômage alourdirait le coût des allocations de 446 millions. En cette période de vaches maigres budgétaires, on comprend que la Vivaldi ne se précipite pas pour changer la donne. D’autant que cette mesure ne profiterait probablement qu’aux formations de gauche.

Cette frilosité ne refroidit pas pour autant le milieu associatif. L’année passée, à l’initiative du Mouvement ouvrier chrétien (MOC) et de Présence et Action Culturelles (PAC), un colloque a été organisé, afin de sensibiliser le public sur cette source de discrimination. Et de remobiliser un secteur associatif bien décidé à faire inscrire cette revendication dans la déclaration de politique générale du prochain gouvernement fédéral. Ecolo et le PS, eux, ont déjà fait savoir qu’ils la défendraient dans des négociations pour une nouvelle coalition. Et le PTB l’a, lui aussi, inscrit à son programme. Alors, maintenant que la Cour constitutionnelle se penche sur le sujet, certains se disent que le moment est peut-être venu.

Le PS a déposé une proposition de loi pour en finir avec ce statut qui pénalise ceux qui perçoivent des allocations de remplacement lorsqu’ils cohabitent avec d’autres.

La suppression du statut de cohabitant, créé voici 40 ans, est une revendication de longue date dans de nombreux secteurs et des épisodes récents ont apporté de l’eau à leur moulin.

Une vingtaine d’organisations, réunies au sein de la plateforme « Stop au statut de cohabitant.e » se sont mobilisées depuis un certain temps pour relancer le combat dans la perspective du scrutin législatif de 2024, alors que la plupart des partis – à l’exception de la NVA et du CD&V – sont favorables à la suppression de ce statut.

Le PS, qui estime que plus rien ne s’oppose désormais à la suppression de ce statut, a déposé ce mardi à une proposition de loi en ce sens à la Chambre. L’opération coûterait 1,86 milliard d’euros, un montant tout à fait supportable aux yeux des socialistes, profiterait à 584.000 personnes.

L’impact négatif du statut de cohabitant

Quel est donc le problème? Le statut de cohabitant est lié au fait que l’on prend en compte la situation de la personne pour fixer les allocations de remplacement auxquelles elle a droit: CPAS, chômage, handicap.

De ce fait, le revenu d’intégration sociale d’un cohabitant sans personne à charge (825,61 euros) est inférieur à celui d’un isolé (1.2238,4 euros) ou un chef de famille (1.67365 euros).

De nos jours, la colocation, qui réunit souvent des personnes sans lien amical ni amoureux, l’habitat groupé et le logement intergénérationnel, rencontrent toujours plus de succès.

De nombreuses personnes qui souhaitent vivre avec un parent, un ami ou des colocataires pour faire des économies d’échelle, risquent d’être pénalisées si elles tombent de ce fait sous le statut de cohabitant. L’opération s’avèrerait in fine défavorable par rapport aux gains escomptés.

Précédents encourageants

Des décisions récentes laissaient déjà penser que le terrain était propice à un changement. Les autorités ont ainsi à plusieurs reprises levé la distinction entre isolé et cohabitant pour l’octroi d’allocations.

Ce fut le cas lors de la crise sanitaire pour éviter de pénaliser les travailleurs en chômage temporaire, pour les victimes des inondations de l’été 2021 et pour les hébergeurs de réfugiés ukrainiens. Selon la plateforme, ces épisodes ont apporté la preuve que ce statut est aussi injuste que pénalisant et que sa suppression est parfaitement envisageable.

Plus rien ne s’oppose désormais à la suppression du statut de cohabitant en matière d’allocation sociale, estime le PS, qui déposera dès mardi à la Chambre une proposition de loi.

Cette mesure est réclamée de longue date par les syndicats et de nombreuses associations actives pour le droit des femmes et la lutte contre la pauvreté. Selon un calcul réalisé par la Cour des comptes, l’opération coûterait 1,86 milliard d’euros, un montant tout à fait supportable aux yeux des socialistes, et bénéficierait à 584.000 personnes.

La Chambre avait approuvé en mars une proposition de résolution socialiste qui demandait à la Cour des comptes d’évaluer l’impact budgétaire de l’alignement des allocations pour cohabitants sur les allocations pour personnes isolées.

Le modèle familialiste a fait son temps

En 1945, quand la sécurité sociale a été créée, elle a été façonnée sur un modèle familialiste autour de droits directs accordés au chef de famille, à savoir celui qui travaille, d’une part, et de droits dérivés pour les personnes qui partageaient sa vie et n’exerçaient aucune activité professionnelle, d’autre part. Ce modèle correspond de moins en moins à la société d’aujourd’hui et pénalise des personnes en fonction de leur choix de vie, dénoncent aujourd’hui ses détracteurs.

“Cela représenterait une avancée sociale majeure pour plus de 500.000 personnes. Il s’agit d’accorder les mêmes droits aux gens quelle que soit leur situation familiale. C’est un combat que le PS mène depuis longtemps: il n’y a pas de raison de s’appauvrir dans ce pays parce qu’on est l’épouse ou la compagne de quelqu’un. L’individualisation des droits sociaux est une mesure fondamentale de justice et d’égalité entre les femmes et les hommes”, a souligné le chef de groupe PS à la Chambre, Ahmed Laaouej.

“En termes de financement, nous sommes loin des chiffres alarmistes avancés par certains”, a-t-il ajouté.

“Plus une minute à perdre”

Aux yeux du PS, les récents débats sur la réforme fiscale ont montré qu’il y avait moyen de faire contribuer les plus nantis au financement de la sécurité sociale. Qui plus est, les chiffres estimés par la Cour des comptes sont loin des dispenses de cotisations sociales accordées sous la législature précédente par la majorité suédoise.

“Plus rien ne s’oppose maintenant à ce que l’on dépose une proposition de loi pour supprimer le statut de cohabitant et que l’on mette le texte à l’agenda de la commission des Affaires sociales le plus vite possible. Il n’y a plus une minute à perdre”, a souligné M. Laaouej, qui espère un vote avant la fin de la législature.