Dans le cadre de l’opération « pourquoi », les abonnés du « Soir » ont soumis plus de 1.000 questions à la rédaction. Découvrez notre réponse à la question posée par Francis, de Jumet.
C’est une bizarrerie administrative qui existe en Belgique (et sans doute ailleurs mais pas forcément chez nos voisins) : le statut de cohabitant. Il concerne celui qui vit avec une autre personne mais qui, étant en partie à charge de celle-ci (parce que ses revenus sont supérieurs), perçoit une allocation moins élevée que celle d’autres personnes dans le même état (chômeur, pensionné, minimexé, etc.) mais avec une situation familiale différente. En Belgique, cela concerne 584.000 personnes. Une source de discrimination sur laquelle la Cour constitutionnelle s’est penchée récemment, à la mi-octobre.
A la demande de dix associations, dont la Ligue des Droits humains (LDH), elle doit se pencher sur une question préjudicielle de la Cour du travail de Liège sur la différence entre chômeur cohabitant et isolé ou chef de ménage. « Il s’agit de décider si ce statut est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution sur la non-discrimination des citoyens belges et sur l’égalité entre homme et femme », explique Sébastien Gratoir, président de la Commission Droits économiques, sociaux et culturels de la LDH.
C’est que la différence est flagrante. Prenez un chômeur arrivant en 3e période de chômage (le moment où la dégressivité joue à plein régime) : il percevra une allocation différente s’il est isolé (1.296,36 euros) ou cohabitant (672,88 euros), alors que dans les deux cas, il aura cotisé de manière identique quand il disposait d’un emploi. Or cette différence est genrée : 51,4 % des chômeuses sont cohabitantes, pour 39,9 % des chômeurs. Soit un total de 155.500 demandeurs d’emploi. Et cet écart s’accroît avec le temps puisque dans la 3epériode de chômage, ce statut concerne 38,54 % des femmes en demande d’emploi indemnisée, pour 24,11 % des hommes. « Cela correspond à une vision ancienne, dépassée, du ménage, de la famille, déplore Sébastien Gratoir. Cela ne tient pas compte des nouvelles formes de cohabitation. Avec ce statut, on punit la solidarité des gens qui décident de vivre ensemble pour faire face à la hausse du coût de l’existence. »
A tel point que les partis de gauche avaient inscrit sa suppression à leur programme électoral en 2019. Et aujourd’hui, à l’exception de la N-VA et du CD&V, tous les autres partis se montrent ouverts à la fin du statut de cohabitant (sans préciser à quel niveau ils situeraient le montant de l’allocation individuelle). Et pourtant, rien ne bouge ou presque. Outre la peur à gauche d’un nivellement par le bas de l’allocation de chômage, c’est le coût qui explique sans doute le statu quo actuel. Mettre fin à cette distinction discriminatoire entre les pensionnés, les minimexés, les chômeurs… coûterait 1,86 milliard d’euros, selon le dernier calcul effectué par la Cour des comptes. Et la seule suppression du statut dans le régime du chômage alourdirait le coût des allocations de 446 millions. En cette période de vaches maigres budgétaires, on comprend que la Vivaldi ne se précipite pas pour changer la donne. D’autant que cette mesure ne profiterait probablement qu’aux formations de gauche.
Cette frilosité ne refroidit pas pour autant le milieu associatif. L’année passée, à l’initiative du Mouvement ouvrier chrétien (MOC) et de Présence et Action Culturelles (PAC), un colloque a été organisé, afin de sensibiliser le public sur cette source de discrimination. Et de remobiliser un secteur associatif bien décidé à faire inscrire cette revendication dans la déclaration de politique générale du prochain gouvernement fédéral. Ecolo et le PS, eux, ont déjà fait savoir qu’ils la défendraient dans des négociations pour une nouvelle coalition. Et le PTB l’a, lui aussi, inscrit à son programme. Alors, maintenant que la Cour constitutionnelle se penche sur le sujet, certains se disent que le moment est peut-être venu.