Dès sa création, le statut de cohabitant est dénoncé pour son caractère injuste en particulier pour les femmes.

Quarante ans plus tard, les critiques n’ont pas cessé. Au contraire, elles s’amplifient. D’autant que les autorités elles-mêmes introduisent des exceptions pour maintenir le niveau de vie de certains durant la crise sanitaire, pour ne pas pénaliser la solidarité face aux inondations ou encore à l’accueil de réfugiés ukrainiens. De quoi donner un regain de vigueur à la mobilisation pour la suppression de ce statut.

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Analyses

20 vertus à la suppression du statut de cohabitant.e

Une question de courage et de nécessité Politique !

Le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP) a rédigé 20 vertus à la suppression de ce statut de la honte qui appauvrit violemment.  Ces vertus sont aux bénéfices des urgences collectives et solidaires, de l’égalité dans l’application du respect de la vie privée, de la déontologie des professionnels, de la réduction des inégalités financières et immatérielles, au bénéfice de la reconquête du pouvoir de vivre et du droit à l’aisance.

La suppression de ce statut entraînerait :

  1. Une amélioration directe des revenus légitimes, insuffisants et souvent encore sous le seuil de pauvreté (même lorsque l’allocation est complète, faut-il le rappeler). Le rôle protecteur de la sécurité sociale serait ainsi pleinement rempli. Le rôle résiduaire du CPAS contribuerait davantage à une possible sortie de la pauvreté qu’à un maintien dans le trop peu.
  2. Un évitement des situations de privation dramatique de revenu pendant des semaines, voire des mois, durant les périodes de transitions administratives liées à des transitions de vie qui peuvent être terriblement appauvrissantes ; une telle privation peut d’ailleurs tenir à des litiges entre les acteurs de l’Etat et les personnes précisément à propos de ce statut (nous pensons ici aussi aux complexes et lourdes procédures administratives qui pèsent sur les personnes et qui engorgent aussi la justice) ; tout cela peut aussi générer un endettement naissant ou aggravé, une perte de logement, etc., préjudiciables à toutes les parties concernées.
  3. Une simplification en matière d’application des droits ET une réduction très importante du non-recours aux droits. Faut-il rappeler que la complexité de l’application de ce statut suscite l’incompréhension des citoyen.ne.s et parfois même la mise en difficulté des professionnels qui ont à appliquer le droit ? Nous assistons régulièrement à des pratiques protectrices compréhensibles d’auto-non-recours à d’autres droits dans le chef de celles et ceux qui sont contraints de construire un improbable équilibre de survie malgré ce statut cohabitant, et à des attitudes de défiance voire de rejet envers des services et la société en général.
  4. Une contribution à la rencontre du défi du vieillissement via la multiplication des expériences intergénérationnelles, positives à la fois pour le bien-être des gens et pour la sécurité sociale.
  5. Une contribution et un soutien aux choix et expériences améliorant la santé mentale sans recourir à des institutions qui ne sont pas toujours nécessaires ou appropriées, mais sont toujours très coûteuses.
  6. Une forte contribution à une stratégie politique d’éradication du risque et de la réalité du sans-abrisme (sans chez-soi) en offrant l’opportunité d’une vie collective lors de la sortie d’institutions (de détention et de prison, de maison d’accueil, d’hospitalisation longue en santé mentale le plus souvent, d’institution résidentielle d’aide à la jeunesse), de la rue, de ruptures familiales majeures, dans le respect du souhait de la personne.
  7. Une participation dans les faits et non dans les annonces à la lutte contre l’appauvrissement et la pauvreté des femmes ; nombre d’entre elles tombent sous le coup et la coupe des effets de ce statut dans le cadre de parcours de vie professionnelle particulièrement instables (temps partiel, carrière coupée, etc.)
  8. Un apport majeur dans la lutte contre l’appauvrissement et la pauvreté des jeunes, qu’ils soient aux études ou pas, alors qu’il est nécessaire qu’ils puissent être soutenus dans ce moment clé de leur vie, sans oublier que certains jouent aussi un rôle de soutien occasionnel à leur propre famille ou fratrie
  9. Un levier fort pour éviter, réduire, éliminer la maltraitance (morale, verbale, physique, liée à la privation) envers les femmes, les jeunes adultes, les personnes âgées, maltraitance produite par des conditions de vie violentes dues à l’insuffisance de revenus, plaçant les familles dans des situations de surcharge de bouches à nourrir et les exposant à des éclatements familiaux très douloureux qui entraînent des conséquences coûteuses pour la sécurité sociale, les aides sociales et dans tous les champs sociétaux.
  10. Une aide précieuse à la prévention naturelle (prévention générale) qui devrait prévaloir à toutes politiques publiques, pour soutenir et non soumettre à une épreuve de plus des jeunes, des personnes, des familles confrontés à des réalités et combats de vie suffisamment complexes. Nous pensons à la perte de ressource financière que constitue ce statut à travers des droits dérivés, des aides sociales comme par exemple l’allocation entretien détenu (déjà totalement indécente sans l’application du statut cohabitant) pour les personnes qui portent un bracelet électronique
  11. Un temps juste et adapté pour se soigner, évitant ainsi une reprise prématurée d’un travail pour cause de diminution des indemnités appauvrissant la personne ou le ménage alors que la personne n’est pas encore en état pour se relancer dans la vie professionnelle. La sécurité sociale retrouverait pleinement son rôle protecteur.

En gagnant cette suppression du statut cohabitant :

  1. Nous nous attaquerions, il n’en est que temps, aux impacts collatéraux dramatiques qui conduisent des enfants à transformer l’explication de la réalité dans laquelle ils vivent, ou à la cacher, pour protéger leurs parents d’une révélation qui leur porterait préjudice : quelle éducation notre société leur dispense-telle ainsi.
  2. Nous ne serions plus complices de la privation délétère pour tant de nos semblables d’une vie amoureuse construite en toute quiétude et en permanence sous le même toit, ou du recours contraint à une fausse adresse domiciliaire, avec la peur permanente du contrôle et du risque de l’injuste sanction.
  3. Nous développerions des réponses solidaires à la pénurie de logements ; le logement en tant qu’élément central d’une vie digne est malheureusement un droit de plus en plus bafoué vu son aspiration de plus en plus forte dans la logique violente du marché ; nous apporterions du même coup une contribution « naturelle » au combat contre les peu scrupuleux marchands de sommeil qui trouvent grâce à l’application de ce statut cohabitant des proies faciles à exploiter ; et indirectement nous contribuerions concrètement à répondre aux enjeux climatiques en apportant cette pierre à l’édifice d’un Pacte logement-énergie vital pour les personnes et pour la vie sur terre.
  4. Nous permettrions le retour aux fondamentaux de leur travail, pour les travailleurs sociaux qui le demandent avec tant d’insistance : un accompagnement de qualité, dans la durée si nécessaire, et non mâtiné d’un contrôle qui produit une inévitable perte de confiance envers les professionnels et envers la prégnance de l’intérêt général qu’ils incarnent.
  5. Nous obtiendrions, et ce serait loin d’être négligeable, une (re)diminution des demandes d’aide sociale aux CPAS, ce qui permettrait à la sécurité sociale protectrice de jouer pleinement son rôle et aux CPAS de retrouver le chemin de l’aide résiduaire. L’augmentation du déplacement des demandes vers les CPAS constituant un déplacement de la charge de la solidarité vers les communes.
  6. Nous renforcerions un meilleur et plus juste respect de la vie privée, surtout pour les ménages fortement vulnérabilisés et les allocataires sociaux dont la vie est surexposée de multiples manières à des violations de l’intimité.
  7. Nous contribuerions au vivre ensemble en évitant la mise en concurrence des populations, l’esprit de surveillance et de délation, les jugements péremptoires, la dynamique du bouc-émissaire. Car si ce statut cohabitant appauvrit davantage les pauvres, il appauvrit aussi les jeunes, les femmes, personnes âgées et familles de la classe moyenne qui rament ou frappé.e.s par un accident de la vie dont elles.ils se croyaient protégé.e.s. Ce statut n’est légitime pour personne.

Et des raisons impératives de le supprimer :

  1. Comment ne pas voir dans la suppression de ce statut, un premier levier au service du renforcement de la sécurité sociale, à savoir jouer plus fortement encore son rôle protecteur et de justice sociale au bénéfice de l’ensemble de la population à toutes les étapes de la vie. La sécurité sociale est le dispositif solidaire le plus précieux que nous ayons. Elle le démontre encore plus visiblement au fil des crises successives, Ne pouvant devenir une variable d’ajustement, elle doit être défendue, consolidée, renforcée et améliorée. Inutile d’aller inventer d’autres dispositifs lorsque ce merveilleux véhicule peut contribuer rapidement à rencontrer les enjeux énoncés au bénéfice des jeunes, des familles, des personnes âgées, des personnes vulnérabilisées, des personnes souffrant de déficiences, de la vie collective, de la solidarité et de la planète. Si tout doit être fait pour que la sécurité sociale reste et (re)devienne le premier dispositif protecteur, le combat serait actuellement injuste s’il n’emmenait dans son sillage la suppression du statut cohabitant aussi dans le cadre des droits dérivés, des aides sociales diverses, dont le revenu d’intégration sociale
  2. Et si supprimer le statut cohabitant était considéré comme un investissement, et qu’au final il finirait par rapporter complémentairement, financièrement, solidairement, démocratiquement et en termes de paix sociale, à l’Etat et donc à tout le monde ? Et si les bénéfices financiers directs se faisaient ressentir dans la vie économique directe des ménages, la réduction d’un surendettement, le budget des communes, et donc aussi des caisses de l’Etat par la TVA et autres formes de contributions ou non-dépenses ? Et si la santé des gens était meilleure, si les métiers du contrôle/sanction n’étaient plus nécessaires, si les logements étaient mieux habités et rénovés, si moins de personnes vivaient dans des institutions collectives lorsque ce n’est pas le moment, si moins de personnes étaient à la rue ? Et si les travailleur.euse.s du social et leurs institutions s’en portaient mieux ? Si la prévention prenait le pas sur le curatif plus que très coûteux ? Bref si cela participait à ne plus jeter l’argent et les gens par les fenêtres mais à investir au bénéfice de la population ?

En février 2021, le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté a sorti un journal de 9 pages contre le statut de cohabitant, le tout avec un second degré totalement assumé.

Au sommaire :

  • une explication du statut de cohabitant
  • une annonce à la population de  Jean PeuPlus, Premier Ministre de la Belle Gigue
  • le positionnement des partis quant à la suppression du statut
  • un recensement de faits divers démontrant toute l’étendue des désastres occasionnés par ce statut
  • des témoignages et appel à témoignage

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Analyses

Taux cohabitant : frein à la solidarité et entrave à la vie familiale

Analyse de l’arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2017

En offrant une alternative pour réduire le coût du logement et de l’énergie, la colocation ouvre des perspectives de solidarité aux familles. Certaines familles monoparentales sont par exemple demandeuses d’un arrangement de ce type qui permet, en plus d’une réduction des coûts, de partager un projet de vie et de lutter contre l’isolement. Pour d’autres la colocation permet d’accéder à un meilleur logement ou tout simplement à un logement.

Ces projets de vie sont pourtant aujourd’hui inenvisageables pour les bénéficiaires de revenus de remplacement en raison du taux cohabitant.

Les familles devraient avoir le choix de leur forme d’habitat quels que soient leurs revenus. Le statut de cohabitant interfère avec cette liberté puisqu’opter pour une colocation peut conduire à une diminution importante des revenus de remplacement et parmi eux, des allocations de chômage.

En matière de droit au chômage, la notion de cohabitation est définie par l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 mais son interprétation fait toujours débat. Une foisonnante jurisprudence a notamment vu le jour au regard des pratiques de l’ONEM. L’Office national de l’emploi a en effet eu pour politique de considérer à priori les colocataires comme des cohabitant·e·s, sanctionnant pour fraude certain·e·s colocataires qui s’étaient déclaré·e·s isolé·e·s et les forçant à rembourser une partie des indemnités perçues.

En octobre dernier, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur la problématique. L’ONEM demandait à la Cour de casser un arrêt reconnaissant le statut d’isolé à des colocataires. La Cour a refusé de suivre l’argumentaire de l’ONEM et estimé qu’en l’espèce, il avait considéré les colocataires comme cohabitant·e·s à tort. Grâce à cette jurisprudence, l’ONEM semble reconsidérer sa position et publie en février 2018 une directive qui établit les critères et documents qu’il prendra en considération pour définir la catégorie familiale des colocataires.

Cependant, la charge de la preuve continue d’incomber à l’allocataire social·e. Il lui reviendra de prouver qu’il ou elle est bien dans les conditions de bénéficier du taux isolé ou de celui d’ayant charge de famille, avec le risque que seules les personnes les mieux informées puissent faire valoir leurs droits.

Le taux cohabitant tel qu’il existe est un frein à la solidarité mais il porte aussi atteinte au respect de la vie privée et familiale en entravant le choix des familles de mener le projet de vie qu’elles souhaitent.

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Analyses

Familles monoparentales et logement : les problèmes à tous les étages

Sondage auprès de 1150 parents solo, paru en février 2022

La Ligue des familles travaille depuis de nombreuses années sur la situation des familles monoparentales et les difficultés qu’elles rencontrent. Nous avons travaillé sur le moment de la séparation1, les besoins lors du décès du conjoint2, les familles confrontées à la détention3, les contributions alimentaires impayées… Pour chacun de ces problèmes, la Ligue des familles a identifié des mesures visant à améliorer la situation de ces parents.

Cependant, nous n’avions pas abordé en profondeur la question de leur logement. Parmi les questions que nous nous posions : comment se passe la recherche d’un nouveau logement lors de l’entrée en monoparentalité ? Combien coûte le logement actuel des familles monoparentales ? Est-il en bon état ? Que leur a-t-il manqué/que leur manque-t-il dans ce logement ? Vivent-elles des discriminations lors de la recherche d’un logement ? Quelles solutions voient-elles pour améliorer leur accès à un habitat décent et abordable ?

Nous avons pu aborder ces questions dans un sondage Ipsos mené du 15 au 30 septembre 2021. 1765 parents solo y ont répondu, dont 1150 parents wallons et bruxellois.

Cette étude présente les résultats de cette enquête. Dans une première partie, nous dresserons le profil de nos répondant·e·s. Ensuite, nous présenterons les raisons de leur entrée en monoparentalité et les difficultés rencontrées à ce moment-là en matière de logement. Dans une troisième partie, nous aborderons le coût de leur logement actuel puis l’état de leur logement. Puis, nous nous intéresserons plus spécifiquement aux familles locataires. Nous aborderons les discriminations subies avant d’aborder les difficultés générales rencontrées par les parents et les solutions que ceux-ci préconisent. Quand l’information existe, l’étude est enrichie par d’autres analyses/chiffres sur les familles monoparentales et/ou le logement des Wallons et Bruxellois réalisés par d’autres acteurs institutionnels, des organismes de recherche, des associations…

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Analyses

Ensemble sous le même toit

Taux « cohabitant » : le coût de la solidarité des familles, publié en novembre 2018

En Belgique, il est tenu compte de la situation familiale dans l’attribution de la plupart des allocations et aides sociales. Le·la cohabitant·e est défavorisé·e par rapport au·à la chef·fe de ménage ou à l’isolé·e. Cette problématique a déjà fait couler beaucoup d’encre et de très nombreuses associations s’opposent à la persistance de ce « statut de cohabitant·e ». La Ligue des familles prend en 2019 l’initiative de mobiliser citoyens et politiques pour en finir avec ce statut. Parce ce qu’il est une entrave à la solidarité et un frein à la recomposition familiale, qu’il met des familles dans de graves difficultés et qu’il est injuste.

Le propos de cette analyse est d’exemplifier l’incidence des taux « cohabitant » sur la vie des familles à travers cinq situations. Ces situations sont fictives mais inspirées de témoignages réels : deux parents solo voudraient s’installer ensemble pour améliorer les conditions de logement de leurs familles, un père en situation de handicap aimerait continuer à héberger son fils de plus de 25 ans qui n’a pas encore trouvé d’emploi, un grand fils voudrait s’occuper de sa mère vieillissante en la faisant emménager chez lui, une maman de cinq enfants dont le père est décédé voudrait se remettre en ménage et une autre voudrait au contraire quitter un compagnon violent. Le système pèse sur des familles déjà précaires et leur laisse le choix impossible de renoncer à leur projet de vie ou à un revenu décent. Les familles tardent à se recomposer, évitent parfois de le faire… voire se séparent. Pour la Ligue des familles, la problématique du statut de cohabitant·e est aussi une question de droit. Le droit fondamental à la vie de famille, le droit de choisir qui partage notre toit, qui nous entoure pour nous lancer dans la vie, qui nous soutient pour élever nos enfants ou qui nous accompagne pour passer notre retraite, est entravé par le statut de cohabitant·e.

Nous devons donc revendiquer la suppression de ce statut qui pèse sur les familles et participe à un modèle de société injuste à l’égard des plus précaires. Nous ne pouvons pas non plus nous dispenser de revoir à la hausse l’ensemble des revenus de remplacement : ils doivent permettre de vivre dignement.

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Le taux cohabitant·e : quand protection sociale rime avec pauvreté

Analyse parue le 22/07/2019 — par Eléonore Stultjens (Soralia)

Lorsqu’un·e bénéficiaire d’allocations (ex. : chômage, invalidité, etc.) ou d’aides sociales (ex. : revenu d’intégration sociale, etc.) cohabite avec quelqu’un, le montant qui lui est octroyé subit le « taux cohabitant·e ». Ce qui a pour conséquence d’entrainer une diminution du montant des allocations attribué aux personnes cohabitantes, comparé aux montants attribués aux personnes vivant seules et aux personnes seules vivant avec des enfants à leur charge. Ainsi, une personne au chômage qui cohabite reçoit 2 fois moins qu’une personne isolée au chômage. Preuve par les chiffres, en 2015, les montants mensuels minimaux d’allocation de chômage pour une personne cheffe de ménage s’élevaient à 1127,62€, pour un·e isolé·e à 972,14€, contre 513,50€ pour un·e cohabitant·e.

Cette réduction importante du montant entre personne isolée et personne cohabitante repose sur une vision erronée de la cohabitation et ne prend pas du tout en compte les changements des modes de vie actuels (ex. : familles recomposées, colocation, habitat intergénérationnel ou solidaire, etc.).

Pour illustrer les conséquences du taux cohabitant·e sur la qualité de vie des individus, nous avons décidé de parsemer cette analyse de cas concrets d’allocataires sociales/aux. Ces exemples illustrent les choix qui pèsent sur les personnes et les familles.

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Analyses

La fin du statut de cohabitant·e ou la nécessité de passer le flambeau

Article paru le 08/06/2022 — Magazine Agir par la Culture (PAC)

Dans la fou­lée des mani­fes­ta­tions du 8 mars, Jour­née inter­na­tio­nale de lutte pour les droits des femmes, Pré­sence et Action Cultu­relles et le Mou­ve­ment Ouvrier Chré­tien ont orga­ni­sé un webi­naire abor­dant les 40 ans de com­bats fémi­nistes et syn­di­caux visant à récla­mer la fin du sta­tut de cohabitant·e. Cette ren­contre amorce une cam­pagne por­tée par les deux prin­ci­paux mou­ve­ments d’éducation popu­laire récla­mant la fin du sta­tut de coha­bi­tant. Une reven­di­ca­tion de longue haleine, encore loin d’être obte­nue, mais dont les rem­parts com­mencent enfin à se lézarder.

C’est une mesure qui a été prise au début des années 80 par les hommes, pour les hommes, afin de résoudre alors des pro­blèmes de bud­get. Ils ne consi­dé­raient pas les femmes comme de vraies tra­vailleuses. Cer­taines prises de posi­tion poli­tiques de l’époque étaient juste dingues, ils voyaient cela comme de l’argent de poche pour aller chez le coif­feur. Ou en d’autres mots : le reve­nu “rouge à lèvre” », explique Gaëlle Demez, res­pon­sable natio­nale des Femmes CSC. « La décen­nie pré­cé­dente avait vu explo­ser le nombre de chô­meurs et de chô­meuses, avec une repré­sen­ta­tion beau­coup plus impor­tante de femmes. C’est une mesure qui pau­pé­rise la popu­la­tion, mais encore plus les femmes. C’est aus­si une forme de sanc­tion, qui vient se mêler aux choix de vie des un·es et des autres. », pour­suit Dali­la Lara­bi, membre du Bureau des Femmes FGTB et conseillère genre à la FGTB fédérale.

L’instauration du sta­tut de cohabitant·e n’est qu’une étape de plus dans la mise à l’écart des femmes du tra­vail sala­rié et de la pro­tec­tion sociale. En effet, dans les années 1920, des femmes dont le mari tra­vaillait ont été exclues des caisses de chô­mage. Idem pour celles dont le mari per­ce­vait de l’argent du Fonds Natio­nal de Crise, créé à l’époque afin de faire face à la crise éco­no­mique de 29. Puis, dans le cou­rant des années 1930, les femmes se sont vues de moins en moins embau­chées dans les admi­nis­tra­tions. « Ensuite, en 1944, quand la Sécu­ri­té sociale est créée, on y impose un modèle fami­lia­riste et patriar­cal : l’homme incarne très sou­vent le rôle du “chef de famille” et on accorde des droits déri­vés pour les enfants et les épouses, considéré·es alors comme à la charge des époux. Fina­le­ment, en 1981, quand arrive ce sta­tut de cohabitant·e, c’est une énième chasse aux femmes qui s’opère. Sauf que le contexte a évo­lué, et là, ça ne va plus pas­ser », raconte Soi­zic Dubot, coor­di­na­trice de Vie Féminine.

Un Comité de liaison

Des orga­ni­sa­tions de femmes s’organisent alors dès l’annonce de l’introduction de la mesure et une délé­ga­tion est reçue au Palais d’Egmont. « Cela n’a certes pas eu l’impact de faire chan­ger le cours de choses, mais des femmes d’organisations fémi­nistes, des syn­di­cats ain­si que du monde poli­tique ont for­mé un comi­té de liai­son. Elles ont démar­ré un véri­table tra­vail de lob­bying », explique Soi­zic Dubot. « Mais aus­si un moteur juri­dique ! », com­plète Eleo­nore Stult­jens, char­gée d’études aux Femmes Pré­voyantes Socia­listes. « Ce qui a par­ti­ci­pé à l’indignation de ces mou­ve­ments, c’est aus­si le fait que le sta­tut des chefs de famille était auto­ma­ti­que­ment octroyé aux hommes. Les femmes, quant à elles, devaient appor­ter la preuve de leurs charges de famille. Le comi­té a été un moteur et la lutte du ter­rain a fina­le­ment payé : en 1986, cette dif­fé­rence d’accès [au sta­tut de chef de famille] a été sup­pri­mée ».

On le voit, la sup­pres­sion du sta­tut de cohabitant·e n’est pas une reven­di­ca­tion qui date d’hier. Elle néces­site tou­jours d’être por­tée à bouts de bras, au quo­ti­dien. « On a l’impression de s’époumoner depuis 40 ans. On doit sans cesse se for­mer et se refor­mer sur la ques­tion, tou­jours plus com­plexe, et veiller à se pas­ser le flam­beau, de géné­ra­tion en géné­ra­tion », explique Gaëlle Demez. Dali­la Lara­bi pré­cise éga­le­ment qu’« à l’époque, on était dans un sys­tème encore plus patriar­cal qu’aujourd’hui. Les inter­lo­cu­teurs sociaux et le monde poli­tique étaient de loin majo­ri­tai­re­ment des hommes. Aujourd’hui, une mesure comme ça, ça ne pas­se­rait plus. »

Des leviers d’action

Même si la mesure est aujourd’hui com­mu­né­ment recon­nue comme injuste, sexiste et stig­ma­ti­sante, ce n’est pas pour autant qu’elle est aban­don­née. La rai­son bud­gé­taire est très rapi­de­ment invo­quée. En effet, en 2012, la Cour des comptes esti­mait déjà que sa sup­pres­sion dans les reve­nus de rem­pla­ce­ment engen­dre­rait un coût entre 7 et 10 mil­liards. Mais ce chiffre, bien qu’impressionnant, pour­rait néan­moins être nuan­cé. Comme l’explique Gaëlle Demez, « Cela fait des années qu’on demande de chif­frer le coût engen­dré par les contrôles chez les gens, pour véri­fier s’ils ou elles sont bien isolé·es et non cohabitant.es. Évi­dem­ment, si on sup­prime le sta­tut de cohabitant·e, on sou­haite aus­si que tout le monde soit ali­gné sur le sta­tut de per­sonne iso­lée. À par­tir de là, on pour­ra vrai­ment se rendre compte du bud­get néces­saire… »

La ques­tion finan­cière va de pair avec une prise de conscience obli­ga­toire : le mode de fonc­tion­ne­ment de la socié­té a évo­lué et de plus en plus de monde est vic­time un jour ou l’autre de ce sta­tut. Les loge­ments inter­gé­né­ra­tion­nels se mul­ti­plient et les col­lo­ca­tions sont crois­santes. « Des per­sonnes qui béné­fi­cient d’allocations ne vont pas pou­voir accueillir chez elle une per­sonne plus âgée, au risque de voir leurs reve­nus dras­ti­que­ment dimi­nuer. Quand on voit aujourd’hui le prix des mai­sons de repos, c’est une atteinte grave à la soli­da­ri­té, c’est un non-sens ! », estime Dali­la Lara­bi. Les rangs fémi­nistes et syn­di­caux se voient donc de plus en plus ren­for­cés par des asso­cia­tions et des orga­ni­sa­tions, dont les membres ou les publics se voient à leur tour impac­tés par ce statut.

Gaëlle Demez invoque aus­si le ruis­sè­le­ment que la sup­pres­sion de la mesure pour­rait engen­drer. « Les dis­cours de droite parlent sans cesse de l’impact que pour­rait avoir une dimi­nu­tion des coti­sa­tions patro­nales… on pour­rait en dire de même ici : l’argent que les gens auraient en plus serait tout de suite réin­jec­té dans l’é­co­no­mie réelle. Et puis, sans oublier que main­te­nir les gens dans la pau­vre­té, ça a aus­si un coût en matière de sécu­ri­té sociale. Plus on coupe les vivres aux gens, moins ils savent retrou­ver du bou­lot ».

Un retour vers plus de solidarité

Et si on se pre­nait à ima­gi­ner une socié­té sans sta­tut de cohabitant·e ? « C’est poten­tiel­le­ment le quo­ti­dien de pas mal de per­sonnes qui pour­rait chan­ger. On compte en effet 215.000 per­sonnes au chô­mage et 270.000 per­sonnes en inva­li­di­té… », indique Eleo­nore Stul­jens. Cela repré­sen­te­rait donc non seule­ment une res­pi­ra­tion finan­cière pour des mil­liers de per­sonnes, mais éga­le­ment un poids men­tal en moins : évi­ter la peur d’être contrôlé·e, sus­pendre la pos­si­bi­li­té d’être dénoncé·e, rega­gner de l’estime de soi, rebâ­tir un réseau social, ne plus devoir pas­ser néces­sai­re­ment par du tra­vail non décla­ré afin de joindre les deux bouts. Tous ces élé­ments-là per­met­traient cer­tai­ne­ment une vie plus digne pour beau­coup de citoyen·nes.

« On pour­rait ima­gi­ner aus­si voir dis­pa­raitre tous ces loge­ments fic­tifs, où des gens peuvent payer un prix fou, tout cela pour avoir une son­nette et une boite aux lettres dans un bâti­ment déla­bré », com­plète Dali­la Lara­bi. Soi­zic Dubot, quant à elle, pointe un regain de soli­da­ri­té qu’entrainerait la sup­pres­sion du sta­tut : « on retrou­ve­rait davan­tage d’égalité au sein du couple et cela per­met­trait aux membres d’une même famille de mieux pou­voir s’entraider, sans devoir se sou­cier de cer­taines retom­bées finan­cières néga­tives ». Gaëlle Demez abonde dans le même sens, en rap­pe­lant qu’en Bel­gique, « nous avons toutes et tous la moi­tié de notre salaire qui part à la soli­da­ri­té. C’est un choix col­lec­tif vrai­ment fort, qui nous semble natu­rel et évident, mais c’est loin d’être le cas dans tous les pays. C’est un bien com­mun à pré­ser­ver et il ne fau­drait pas que la popu­la­tion perde sa confiance dans la sécu­ri­té sociale ».

Une vigilance nécessaire

L’actualité montre que le sta­tut de cohabitant·e se voit de plus en plus fra­gi­li­sé. Récem­ment, ce que les asso­cia­tions dénon­çaient comme le prix de l’amour a été sup­pri­mé pour les per­sonnes por­teuses de han­di­caps pour qui la vie en couple n’est plus un motif de dimi­nu­tion de leur allo­ca­tion. Il en va de même pour les per­sonnes vic­times des inon­da­tions, lors de l’été 2021 : autant les per­sonnes sinis­trées qui doivent être héber­gées que les per­sonnes accueillantes ne seront pas péna­li­sées au niveau du mon­tant de leurs allo­ca­tions sociales. Cer­taines com­munes de Bel­gique ont pris une mesure simi­laire pour celles et ceux qui ont récem­ment accueilli des per­sonnes fuyant la guerre en Ukraine. Mais sou­li­gnons aus­si que toutes ces avan­cées sont le fruit d’âpres négo­cia­tions por­tées par les asso­cia­tions et collectifs.

Des avan­cées existent et l’actuel accord de gou­ver­ne­ment le men­tionne, même s’il reste pour le moins flou à ce sujet : « Il sera exa­mi­né si la régle­men­ta­tion sociale et fis­cale est encore adap­tée aux formes actuelles de vie com­mune (dont les nou­velles formes de coha­bi­ta­tion et soli­da­ri­té comme l’habitat inter­gé­né­ra­tion­nel), et/ou de soins et aux choix de chacun. »

Le bout du tun­nel n’est pas encore pour demain. Et, comme insiste Soi­zic Dubot, il est plus que jamais néces­saire de faire preuve de vigi­lance afin d’éviter des dis­tinc­tions : « Il faut à tout prix évi­ter qu’on en vienne à se dire qu’il y de bon·nes cohabitant·es – cel­leux qui cherchent à coha­bi­ter ensemble pour des rai­sons morales ou inter­gé­né­ra­tion­nelles – et des mauvais·es cohabitant·es qui seraient soi-disant des fraudeur·euses car iels cherchent juste à avoir un peu plus de reve­nus pour sur­vivre. C’est tout ou rien. Nous devons toutes et tous orien­ter nos choix en fonc­tion de la même bous­sole ».

L’intégralité de la rencontre est disponible en format podcast, dans la collection hors-série de Les Jours Heureux

Quelques chiffres

  • 1980 : le statut de cohabitant est introduit dans le calcul des indemnités de chômage (puis, dès 1991, dans le calcul des indemnités de maladie-invalidité).
  • Au 1er mai 2022, le revenu d’intégration sociale s’élevait à :
    • 1 507,77 €/mois pour une personne vivant avec leur famille à charge ;
    • 1 115,67 €/mois pour une personne isolée ;
    • 743,78 €/mois pour une personne cohabitant·e.
  • En 1980, 90 % des personnes sous le statut de cohabitant·e étaient des femmes. Aujourd’hui, il y a une quasi-parité entre les femmes et les hommes.

Une définition du statut de cohabitant

Du fait que deux personnes cohabitent, si une des deux personnes (ou les deux) reçoit des allocations sociales ou de suppléments, d’allocations de remplacement, de correctifs ou d’avantages sociaux, cette personne percevra alors un montant plus faible que si elle était restée isolée.