La coexistence de multiples statuts d’indemnisation entre allocataires sociaux complexifie l’application quotidienne de la réglementation sociale et aboutit à des situations inéquitables ou difficilement compréhensibles, que je peux observer au quotidien dans le cadre de mes fonctions de magistrat à l’auditorat du travail.
Plusieurs difficultés me paraissent devoir être soulignées :
La première difficulté résulte de l’absence d’harmonisation des statuts entre les différents régimes de sécurité sociale : un allocataire social peut, dans certaines circonstances, être considéré comme ayant charge de famille en matière d’indemnités d’incapacité de travail, mais cohabitant ou isolé en matière d’allocations de chômage. Ceci rend la réglementation incompréhensible pour l’assuré social, qui change de statut en fonction du régime dont il dépend.
La deuxième difficulté résulte des critères utilisés afin d’accorder un statut plutôt qu’un autre : la nature des relations entre l’allocataire social et son ou ses cohabitants va ainsi impacter le taux de ses allocations ; la circonstance qu’il verse une pension alimentaire, même minime, va lui permettre de bénéficier d’allocations majorées, sans corrélation avec les charges supplémentaires qu’il supporte. Ces critères ne paraissent pas ou plus pertinents à l’heure actuelle et conduisent également certains assurés sociaux à effectuer, volontairement ou non, des déclarations incomplètes ou inexactes, leur permettant in fine de bénéficier d’allocations à un taux plus avantageux.
La troisième difficulté provient de l’absence de possibilité de contrôle objectif de la situation familiale d’un allocataire social : la détermination de la situation familiale de l’allocataire va souvent impliquer une enquête approfondie quant aux lieux fréquentés par l’allocataire social, ses habitudes, ses relations intimes, les mouvements financiers sur ses comptes bancaires. Ces enquêtes sont particulièrement intrusives, en ce qu’elles portent sur la manière dont l’assuré social organise sa vie privée et ses relations intimes.
Ces difficultés génèrent en outre une charge de travail administrative colossale pour les organismes de paiement, les agents des bureaux de chômage, les inspecteurs sociaux, les services de police et les magistrats chargés de diriger ces enquêtes ou de connaître des litiges qui en résultent, que ce soit en matière civile ou en matière correctionnelle. Le temps, l’énergie et les moyens financiers consacrés au contrôle de la situation familiale des allocataires sociaux pourraient être investis dans d’autres missions plus fondamentales.
Enfin, les catégories retenues par la réglementation (cohabitant / isolé / personne ayant charge de famille) ne correspondent plus à la situation actuelle de nombreuses personnes qui, bien qu’en couple, choisissent de vivre séparément ou, à l’inverse, décident de partager les frais d’un logement sans nécessairement souhaiter créer une communauté de vie entre elles. Le statut de cohabitant est en outre particulièrement précarisant, dès lors qu’il plonge l’allocataire social dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de son cohabitant.
Ces considérations me conduisent à penser qu’une réforme du statut des allocataires sociaux est plus qu’indispensable, le système de protection sociale devant évoluer vers plus de simplicité, de lisibilité et d’équité.