17 octobre 2022 : Journée mondiale de lutte contre la pauvreté. Réunis à Namur, syndicats, associations et mouvements de lutte contre la pauvreté exigent la suppression du « statut de cohabitant »
Ceux qui vivent à plusieurs ne font-ils pas des économies ? Dès lors, pourquoi ne pas baisser les allocations des personnes vivant sous le même toit ? En 1980, pour faire des économies dans la sécurité sociale, le ministre de l’Emploi Roger De Wulf (SP.A) a distingué les cohabitant·es des non-cohabitant·es dans la réglementation du chômage. Le statut de cohabitant qui s’appliquera non seulement au chômage mais aussi au revenu d’intégration sociale (Ris), à l’assurance maladie invalidité, à la Grapa (Garantie de revenu pour personnes âgées) ainsi qu’à certaines allocations familiales majorées, permettra en effet de réaliser des économies substantielles. Mais surtout, en amoindrissant les revenus des plus fragiles, le ver du statut de cohabitant pouvait ronger de l’intérieur le fruit de la sécurité sociale.
À l’assistance qui devait compléter les salaires de famine des ouvriers jusqu’au début du siècle dernier, la sécurité sociale avait substitué la solidarité. Le revenu des chômeurs ne relevait plus de la bienfaisance en raison de leur pauvreté, mais de leur droit au travail indépendamment de leur état de besoin. Par le statut de cohabitant, la mise sous condition de l’allocation de chômage en fonction du revenu du ménage a réintroduit l’état de besoin et amorcé l’érosion du droit au revenu. Jusqu’en 1980, la sécurité sociale était dominante et l’assistance réduite à un régime subsidiaire, mais, depuis, les assurances sociales sont en recul au profit de l’assistance. Les CPAS n’accueillent plus seulement ceux qui passent au travers les mailles du filet de la sécurité sociale, mais aussi les jeunes sans emploi et les fractions fragilisées du salariat.
Le statut de cohabitant appauvrit les femmes qui en sont les principales victimes, les jeunes et les ménages qui voient ainsi leur revenu amputé. Il constitue un obstacle pour les choix de vie des personnes qui craignent la baisse de leur revenu en cas de cohabitation. L’instauration de ce statut a été par ailleurs le prétexte des contrôles intrusifs dans la vie privée et l’intimité des personnes. Ne faut-il pas tout mettre en œuvre pour s’assurer que la chômeuse ou le chômeur ne cohabite pas en cachette pour préserver la société « des abus » ?
La protection sociale procure à chacun, au-delà de la seule rémunération, protection juridique et droits sociaux et protège la société contre les chocs inhérents au marché. Le retour à l’état de besoin, en lieu et place du droit, renoue au contraire avec l’assistance, assujettit les personnes au contrôle de l’État et ouvre la voie au démantèlement de la sécurité sociale. L’exigence de supprimer le statut de cohabitant mise en exergue à Namur lors de la journée mondiale contre la pauvreté doit être entendue comme un cri de révolte contre le retour à l’assistance et pour la dignité promue par les droits sociaux.
Les partis de gauche ne pourraient-ils pas en faire une condition à toute participation gouvernementale ? Ce serait là manifestement un coup d’arrêt porté aux contre-réformes néolibérales.
Mateo Alaluf
Cet article a paru dans le n°121 de Politique (décembre 2022).